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Photo et documentaires

23 juillet 2015

Les Rencontres d’Arles ont commencé le 6 juillet pour durer tout l’été. À cette occasion, petit abrégé chronologique de coups de cœur ciné-photographiques (ou photo-cinématographiques ?) en documentaires, par Bertrand Priour, responsable de la vidéothèque et de l’auditorium de la Maison européenne de la Photographie de 1992 à 2009.
Une sélection forcément difficile, qui aurait toute sa place sur Tënk dans une “case” dédiée à la photo…

Photogramme de Manhatta, de Paul Strand et Charles Sheeler, 1921 (10 minutes)

Manhatta, de Paul Strand et Charles Sheeler, 1921 (10 minutes)


“Manhatta”, du nom amérindien de l’île new-yorkaise, est le film de deux artistes photographes explorant le champ artistique de l’image animée au début du XXe siècle. Avec très peu de mouvements de caméra, ils filment une journée à New-York, de l’aube au couchant, intégrant au montage des extraits de poèmes de Walt Whitman sur les métropoles.
   L’un des premiers documentaires de création, “Manhatta” est un exemple des liens formels étroits qui existent entre pratiques cinématographiques et photographiques. Paul Strand était l’une des figures de la “straight photography”, une pratique directe, documentaire, qui s’affirmait en opposition au “pictoralisme” en vogue à l’époque, qui voulait simuler la peinture et la gravure par des effets au tirage.
    Paul Strand, dont c’est le premier film, allait connaître une grande carrière de cinéaste.



© Paul Strand & Charles Sheeler, Manhatta, The Museum of Modern Art Film Library, 1921

Photogramme de Si j’avais quatre dromadaires, de Chris Marker, 1966 (49 minutes)

Si j’avais quatre dromadaires, de Chris Marker, 1966 (49 minutes)


“Un photographe amateur et deux de ses amis commentent un choix de photos prises un peu partout dans le monde”, annonce le générique. Le film est une conversation à trois sur un montage d’images fixes, le tout formant une réflexion sur la photographie, la société, le politique en cette période de guerre froide…
    Chris Marker ne voulait plus que ce film soit diffusé, considérant qu’il appartenait à une époque d’apprentissage qu’il n’était pas nécessaire de montrer au public. Quel dommage, car cette vision du monde uniquement à partir de photographies est toujours aussi novatrice et puissante. Quelques années plus tôt, il réalisait “La Jetée”, une fiction également réalisée au banc-titre — à l’exception d’un plan filmé. Deux décennies plus tard, “Sans soleil” peut être considéré comme le pendant filmé de “Si j’avais quatre dromadaires”.



© Chris Marker, Si j’avais quatre dromadaires, Apec/Iskra, 1966

Photogramme de Photographie et société, d’après Gisèle Freund, de Teri Wehn-Damisch, 1983 (2x24 minutes)

Photographie et société, d’après Gisèle Freund, de Teri Wehn-Damisch, 1983 (2x24 minutes)


En 1933, Gisèle Freund, photographe et sociologue, fuyait l’Allemagne nazie, emportant avec elle des photographies dénonçant le régime. Dans “Photographie et société”, où figurent de nombreuses photographies de Freund, elle dialogue avec la réalisatrice et livre son analyse sur la nature de l’image photographique et les enjeux de la pratique pour la connaissance de la société. Elle évoque la photographie comme arme sociale, l’apparition du photo-journalisme dans les années 1930 et l'impact de la photo d'actualité sur le grand public.
    Ce diptyque documentaire, co-écrit par Gisèle Freund, est autant un portrait de l’artiste qu’une véritable leçon de photographie.



© Teri Wehn-Damisch, Photographie et société, d’après Gisèle Freund, TF1 films productions, 1983

Photogramme de Abattoirs, de Thierry Knauff et Marc Trivier, 1987 (11 minutes)

Abattoirs, de Thierry Knauff et Marc Trivier, 1987 (11 minutes)


“Une évocation poétique des abattoirs, à l'écoute de la mémoire des murs. L'attente des animaux, leur disparition et les traces de leur passage.”
    La particularité de ce film est qu’il a été tourné dans un format carré, partant du format original des photographies réalisées par Marc Trivier. Le montage, sans paroles, associe des prises de vues cinématographiques et des photographies. Sans jamais montrer l’acte d’abattage, avec une bande son très travaillée et un rythme puissant, le film a une force évocatrice qui dénonce la violence de l’abattage des bovins.
    Il a été récompensé par une dizaine de prix internationaux.


© Thierry Knauff & Marc Trivier, Abattoirs, Copra Films, 1987

Photogramme de Contacts, par un collectif de photographes, série imaginée par William Klein, 1989-2004 (36 x 13 et 26 minutes)

Contacts, par un collectif de photographes, série imaginée par William Klein, 1989-2004 (36 x 13 et 26 minutes)



William Klein : “Les planches contacts, tu les lis de gauche à droite comme un texte. Tu vois ce qu'a vu le photographe à travers l'objectif : ses hésitations, ses choix, ses oublis, ses coups de tête, son agenda en quelque sorte.”
   Cette série imaginée par le photographe et cinéaste William Klein est basée sur un concept simple, mais efficace : en voix off, un photographe commente son parcours et ses choix à partir de bancs-titres de ses photographies. Certains films ont été réalisés par les photographes eux-mêmes et constituent de véritables autoportraits : Raymond Depardon, William Klein ou encore Sarah Moon qui aborde avec sincérité et profondeur son expérience de la photographie de mode et de publicité.



© Sarah Moon, Contacts, KS Visions, 1993

Photogramme de Patria obscura, de Stéphane Ragot, 2013 (83 minutes)

Patria obscura, de Stéphane Ragot, 2013 (83 minutes)


Le réalisateur photographe entremêle l’exploration de son histoire familiale, celle d’une famille française marquée par deux grands-pères militaires, et son travail photographique qui questionne “les identités nationales”, par opposition au débat officiel sur “l’identité nationale” décidé par Nicolas Sarkozy en 2009.
  Dans “Patria obscura”, le lien entre la photographie (qu’elle soit de famille ou professionnelle) et l’analyse sociale et historique est un fil conducteur puissant de la narration. Stéphane Ragot parvient à définir la France par la multitude de ses identités, de ses parcours individuels, convoquant le passé pour mieux embrasser le présent et l’avenir.



© Stéphane Ragot, Patria obscura, Les Films du Jeudi, 2013