Le blog de Tënk > Programmation

•• Cette semaine sur Tënk – Une étrange victoire

24 juin 2022

Une étrange victoire.

Un chef d’œuvre de 1948, rien que ça. Pour la première fois disponible en ligne avec des sous-titres français. Une claque politique : Strange Victory. Leo Hurwitz, son réalisateur, persécuté sous McCarthy, y développe un discours certainement inentendable pour l’époque : les gagnants, les vainqueurs, les fiers victorieux de la deuxième guerre mondiale – ici, les États-Unis –, s’ils ont fait plier le nazisme, n’en sont pas moins des sociétés profondément racistes. “Pourquoi les idées du perdant sont-elles toujours vivantes au pays du gagnant ?” demande sans détour le film. « Sans détour », parce que sa forme est celle d’un film de montage d’une grande franchise idéologique, accusateur, dérangeant, et volontiers provocateur. Federico Rossin, qui a programmé le film, y voit « un acte d’accusation impitoyable et efficace contre l’Amérique de l’après-guerre » (…) « qui décrit (…) comment la guerre froide et la chasse aux sorcières de McCarthy ont objectivement favorisé la résurgence du fascisme et du racisme en Europe et en Amérique. » Les premiers mots de ce paragraphe étaient « chef d’œuvre » et puis aussi « claque » : nous vous encourageons vivement à tendre la joue.

Dilemme du rédacteur : faut-il enchaîner avec la présentation d’un film sur la police française ?

Allez : La Cité de l’ordre est un film que Tënk a accompagné lors de sa production, en partenariat avec Mediapart. On y assiste à la formation des apprentis policiers, dans une cité d’un drôle de type : un décor presque de cinéma, une rue artificielle dans un hangar, une fausse supérette, une fausse pharmacie, de faux appartements. Là sont mises en scène des situations d’intervention, et les élèves jouent leur rôle : maintenir l’ordre, effectuer les bons gestes, prononcer les bons mots. Le film d’Antoine Dubos nous entraîne de l’étonnement de la découverte à quelque chose de beaucoup plus inquiétant, qui révèle la vision de l’ordre social inculquée aux policiers. Pour reprendre les mots de Sophie Dufau, journaliste à Mediapart : « Ce qui compte, c’est réprimer, dominer, à défaut de maîtriser. Après une entrée en matière où les scènes peuvent faire penser à du théâtre amateur dans un décor de carton pâte, le documentaire parvient à saisir des tensions qui ne font plus du tout rire. Une prouesse. »

Vous pourrez retrouver sur la page du film un entretien avec Antoine Dubos réalisé lors des États généraux du documentaire de Lussas en 2021.

●●

Grand Coup de cœur cette semaine, pour Quelle folie ! Un film qui propose de suivre les pas et les nombreux mots d’Aurélien, atteint du syndrome d’Asperger, ami du réalisateur Diego Governatori. Son lien singulier avec son environnement, il le dit, l’explique, cherche et trouve les mots pour le traduire avec la plus grande précision. Et l’on découvre un rapport au monde qui questionne « nos évidences, notre inscription dans la communauté des humains, le pilotage automatique de tous ceux pour qui la norme va de soi ». C’est une rencontre profonde, une découverte permanente pour nous spectateurs. Et c’est du cinéma, c’est mouvant, ça bouscule, ça se confronte, comme Aurélien lui-même, à la violence normale de tout ce qui nous entoure. À voir !

●●

Un monde violent, un monde que l’on violente, c’est ce qui fait l’environnement de Dark Eden. Une fresque écologique et intime dans la ville de Fort McMurray au Canada, eldorado pour tous les mordus de sables bitumineux (et de dollars). Comment fait-on pour vivre avec la culpabilité, avec la responsabilité de détruire ce qui nous entoure ?

Enfin, deux courts métrages. Et voilà un peu d’apaisement. Des liens avec des forces qui nous dépassent, avec des magies inexplicables qui font aussi notre monde.

Il y a Le Rite, dans un village de Sardaigne, où l’on fait appel à Antonio et à sa « médecine oculaire », pour guérir les bêtes, apaiser les enfants ou bien réaliser quelque miracle du quotidien… Et dans Une forme d’intimité, c’est encore quelque chose de sacré qui sourd des images humides de pluie et de l’herbe mouillée : notre lien aux disparus, tout doux ce lien, et puis notre lien aux moutons, aussi, et à la terre qu’ils foulent… sous laquelle les disparus reposent.

Bons films !