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•• Cette semaine sur Tënk – Alice Rohrwacher, des visages et des masques

28 avril 2023

On va essayer de décrire, mais pas trop (c’est mieux de regarder). Alice Rohrwacher sort dans la campagne avec sa caméra et filme les branches et les chemins. Elle filme ensuite des visages. Elle filme même des enfants qui soufflent sur des pissenlits pour en faire s’envoler les graines, et puis qui courent ensuite à contrejour dans les champs. Elle filme avec son « œil magique » et ça donne Quattro Strade, un court métrage rempli de lumière et d’attention aux autres. Voilà.

Alice Rohrwacher, réalisatrice italienne à qui nous consacrons un Fragment d’une œuvre cette semaine, aime les chansons et les gens qui les chantent. Dans Una canzone, film entièrement constitué d’archives italiennes, on entend un homme : « Je n’ai jamais eu le courage de dire « je t’aime » par exemple. Mais à force de répéter cette chanson, j’ai appris à dire des choses sérieuses. C’est comme enfiler un costume. Cela protège encore plus qu’un costume car il y a un dessin préétabli qui nous protège, il y a une mélodie. » Tout le monde chante, seul ou ensemble, c’est nécessaire, et c’est de cela que parle Una canzone : de notre besoin du chant, pour le réconfort, pour nous souvenir, pour être ensemble et puis pour la lumière, encore.

Un Piccolo Spettacolo est le tout premier film d’Alice Rohrwacher, coréalisé avec Pier Paolo Giarolo. C’est l’histoire d’une petite famille qui vit sur les routes – roulottes, chevaux, petit cirque ambulant – et qui cherche à vivre libre tout en émerveillant le monde. Aurélien Marsais, qui programme ce Fragment, y voit déjà l’esprit de certains grands thèmes inhérents au futur travail de la réalisatrice : « Alice Rohrwacher se place résolument en conteuse d’un réel réenchanté, dans lequel boire des rayons de lumière ne serait pas qu’une simple fantaisie, mais une réalité à ne jamais perdre de vue ». À découvrir !


Alice Rohrwacher était « invitée spéciale » de Visions du Réel. Et pour compléter notre programmation consacrée au festival suisse, voici un film de Jean-Stéphane Bron, tout aussi suisse, invité cette année pour un atelier consacré à son travail. C’est La Bonne Conduite.

Ce sont cinq rencontres, à la fois drôles et tragiques, confinées dans une voiture d’auto-école : une situation simple, deux personnes séparées par la nationalité et parfois la couleur de peau qui se côtoient quelques heures et qui, au bout du compte, se rencontrent. C’est qu’à la faveur du temps passé ensemble, les a priori tombent et la proximité se crée. Et même : l’intimité, voire l’émotion partagée. Bien conduire en Suisse, bien se conduire… voilà un film généreux qui nous emmène, les deux mains sur le volant et l’œil dans le rétro, vers la beauté du lien et de la découverte mutuelle…


Les deux autres films de notre programmation de la semaine sont des voyages, et ils comportent pour l’un un masque et pour l’autre une statuette.

La statuette est d’origine Fang – d’Afrique centrale. Fang : une épopée raconte son voyage, depuis sa « captation » au début du 20e siècle par les colons, jusqu’à sa « consécration » sur le marché de l’art. Et tout cela en un court métrage qui joue de manière malicieuse avec les codes du cinéma : chaque époque du voyage est représentée en mimant les styles cinématographiques correspondants. De l’exploration à l’anthropologie, de l’anthropologie à l’art, nos regards changent, et nos mots aussi. On dit « art primitif », on dit « art nègre », on dit « arts premiers » – on dit « prélever » ou on dit « piller »…

Risse in der Maske (« des fissures dans le masque ») suit Ephraim Eni et sa femme, habitants de Thursday Island, île située dans le détroit de Torrès en Océanie. Pourquoi « Thursday » ? Parce que jeudi. Bien que l’île semble avoir été « découverte » par un fier capitaine anglais un vendredi, mais passons – le mot « découverte » étant pour le moins questionnable, quand des gens peuplaient déjà le lieu depuis des millénaires. Sur Thursday Island, il ne reste plus aucun masque traditionnel : ils se trouvent tous dans des musées étrangers. Quoi de plus naturel alors, pour Ephraim Eni, que d’entreprendre un voyage pour aller demander poliment aux dits musées de récupérer son dû ? Jürgen Ellinghaus, programmateur, écrit : « Le périple (…) met en évidence un des péchés originels de l’anthropologie occidentale, à savoir le rapt massif d’objets de culte sur les autres continents, mués en « œuvres d’art » pour collectionneurs et conservateurs »… Ces derniers se montrant « un tantinet troublés » devant la demande d’Ephraim, qui en 1997 préfigure les débats actuels autour de la notion de « restitution »…

Bons films !