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•• Cette semaine sur Tënk – Nobel, Hitchcock et Barbara

9 décembre 2022

« Venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais. »

17e femme lauréate du prix Nobel de littérature sur 119 attribués depuis 1901, Annie Ernaux prononçait mercredi dernier son discours* devant l’honorable Académie. « Il y a en France et partout dans le monde des intellectuels masculins pour qui les livres écrits par les femmes n’existent tout simplement pas. » dit-elle notamment. Nous vous proposons aujourd’hui d’écouter et de voir l’écrivaine, 10 ans plus tôt, dans sa maison de Cergy-Pontoise, parler de son travail. C’est dans Les Mots comme des pierres, de Michelle Porte. Elle y évoque les lieux de son écriture, ses origines sociales et le retournement total qui a dû être le sien, source et matière de son œuvre. Notons également que mercredi prochain sortira dans les salles de cinéma le film qu’elle a coréalisé avec son fils David Ernaux-Briot, Les Années Super 8 !


La programmation de Tënk cette semaine est riche d’horizons divers !

Commençons par ce moyen métrage très émouvant, dans lequel la réalisatrice filme ses grands-parents. Le Temps long, c’est le titre du film ; c’est aussi sûrement ce sentiment de la vieillesse qui avance, et de la mémoire qui s’enfuit. C’est un film plein d’amour filmé sur plusieurs années, et Aurélien Marsais, qui le programme, en dit de bien jolis mots, en compagnie de Barbara : « Certes, tout le temps perdu ne se rattrape guère, mais Lou Colpé parvient à le saisir au vol dans ce moyen métrage bouleversant ».

Dans Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock, le héros, coincé dans son appartement new-yorkais, observe ses voisins jusqu’à soupçonner un meurtre. Si l’on osait un raccourci, Victor Kossakovsky serait alors une sorte de James Stewart pétersbourgeois : dans Tishe ! le réalisateur filme exclusivement depuis sa fenêtre. Et en guise de meurtre, la rue qu’il observe en contrebas lui présente toute une comédie de la ville. De menus événements, des amoureux chancelants, des pluies, des neiges, et puis des ouvriers qui font et défont et puis refont la chaussée. C’est passionnant, c’est un film devenu classique du documentaire, un film burlesque-ou-presque, qui rappelle la poésie du cinéma muet – oui, Тише (Tishe) ça veut dire… « chut ! »

Continuons avec nos oreilles : Le Boxeur endormi, de Karim Dridi, est une plongée dans le rêve. Daniel Deshays nous présente ce film et, comme à son habitude, attire notre attention vers le travail du son : c’est « un monde sonore, mémoire du boxeur et du spectateur, cette matière brûlante du combat ». Un film très court, une expérience qui nous plonge dans une « cérémonie volcanique » et dans la rage de vaincre. Tout simplement.


Puis, deux histoires de frontières :

Celles du Kurdistan, de l’Irak, de la Syrie, du Liban, dans Notturno. Gianfranco Rosi (dont le tout dernier film, In Viaggio, sortira également mercredi prochain) explore là, pendant plus de 3 ans de tournage, des territoires qui vivent dans la guerre permanente. Où chaque paysage, aussi beau soit-il, paraît sous la menace. Où chaque image, aussi belle soit-elle, est en sursis. La douleur, Rosi la montre, et montre aussi l’humanité qui pointe, qui survit, qui tente de transpercer. C’est notre Coup de cœur de la semaine et c’est un film qui reçut lors de sa sortie le label Oh My Doc!.

Les frontières du Sud vers le Nord, aussi (comme on dit). Au bord du Sahara, dans un espoir d’exil et d’Europe. Là se trouve Le Dernier refuge, la Maison des Migrants. On y rencontre surtout trois jeunes femmes, Esther, Natacha et Kadi. On les rencontre patiemment, seule manière de comprendre les détresses et les parcours de chacune, seule manière de leur donner l’espace pour se livrer. Laissons écrire notre programmateur Olivier Barlet, qui vous invite à regarder ce beau film et qui fait dans son texte l’éloge de toute une méthode documentaire : « Il est très frappant de voir ainsi des êtres se dévoailer en profondeur, dans la pleine conscience d’être filmés. Le film vibre de cette patience, cette empathie, cette tendresse qui ne s’invente pas et qui fait qu’on n’oublie pas ces êtres qui doivent décider s’ils tentent l’aventure. »

Bons films !

*Le discours dans son intégralité sur le site du Monde.